Il y a trois ans, le pire incident de fusillade de masse de l’histoire de notre pays enleva la vie à 22 individus innocents en Nouvelle Écosse et affecta profondément des milliers d’autres.
Le Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice a étudié les recommandations de la Commission des pertes massives qui a mené un examen rigoureux des événements qui ont précédé et suivi le meurtre de 22 personnes en Nouvelle-Écosse en avril 2020 par un homme armé déguisé en policier.
Le SESJ souhaite rendre hommage à tous les gens qui ont été touchés par cette tragédie, y compris les familles qui ont perdu des êtres chers, ceux qui ont été blessés ou terrorisés pendant le déchaînement de violence, y compris Lisa Banfield (la partenaire de droit commun du tireur), tous les membres de la GRC, le Service correctionnel du Canada, les autres premiers intervenants, ainsi que l’ensemble de la communauté de Portapique qui a été directement ou indirectement touchée.
De nombreux membres du SESJ en Nouvelle-Écosse — qui sont des employés de la fonction publique au sein de la GRC et du SCC — ont été profondément affectés par cette tragédie étant donné leur rôle de soutien dans les opérations de la GRC et du SCC. Certains des impacts psychologiques sur ces employés n’ont pas encore été pleinement reconnus.
Nous savons qu’ils n’oublieront jamais cette journée, ni les nombreux Néo-Écossais dont la vie a été bouleversée par cet horrible événement.
Le rapport de la Commission, comprend sept volumes totalisant plus de 3 000 pages, présente un examen détaillé des multiples facettes des services de police et des facteurs sociétaux qui étaient en jeu avant, pendant et après ces événements horribles et traumatisants survenus dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse.
Le SESJ n’a pas les connaissances spécialisées nécessaires pour se prononcer sur tous les aspects du rapport; ainsi, l’analyse ci-dessous porte très spécifiquement sur les questions qui pourraient toucher les membres du SESJ à la suite des efforts de la GRC et des gouvernements fédéral et provincial pour réagir au rapport à court et à long terme.
Pour obtenir plus d’information sur le rapport, veuillez vous rendre à : https://masscasualtycommission.ca/final-report/ (en anglais seulement)
1. Agents de la GRC en uniforme
Au tout début de son rapport intitulé Turning the Tide Together, la Commission dit ceci :
[Traduction]
Nous devons repenser le rôle de la police dans un écosystème plus large de sécurité publique. Des changements importants sont nécessaires pour répondre aux divers besoins de la population en matière de sécurité et de bien-être au 21e siècle. La culture actuelle des services de police doit changer. Des améliorations s’imposent notamment par rapport aux questions concernant l’interopérabilité entre les services d’urgence et les autres partenaires de la sécurité des collectivités.
p. XIII‑XIV
Le rapport répartit les personnes qui ont été touchées par la fusillade dès le début incluant les personnes qui sont directement reliées à l’aire géographique de Portapique et de ses environs et qui ont été soit témoins de l’événement, soit suffisamment proches pour avoir été mises en danger.
Le rapport fait aussi référence aux proches des victimes à travers le Canada et les États-Unis (des Néo‑Mexicains figuraient parmi les victimes) et les membres du grand public qui ont été bouleversés par cette violence insensée.
En dernier ordre, les membres du SESJ sont mentionnés brièvement en tant que premiers intervenants et fournisseurs de services, incluant le personnel opérationnel au sein de la GRC et autres département des services de police, les professionnels des services de santé d’urgence, les pompiers et d’autres personnes fournissant des services de première ligne.
Or, lorsqu’il s’agit du rôle que les membres du SESJ ont joué en tant que professionnels lors des événements, le rapport n’est pas explicite. De vagues notions d’« équipes opérationnelles de la GRC » sont mentionnées tout au long du rapport, mais les membres du SESJ ― qui faisaient et font toujours partie de l’ossature opérationnelle de la GRC ― n’ont pas fait l’objet de recherches ou d’entretiens soutenus de la part de la Commission. Naturellement, l’accent est mis presque entièrement sur les 22 victimes, les divers témoins ainsi que les agents de police et les membres connexes de la GRC qui ont joué un rôle lors des événements.
2. Rôle et soutien des fonctionnaires de la GRC
Dans l’ensemble, le rapport montre que la Division H de la GRC était dépassée par l’ampleur de la catastrophe, indépendamment de la qualité de la formation des agents. Dans le volume 7, la Commission fait état de 13 problèmes liés au processus décisionnel dans les premières heures des événements (p. 146-147). Les professionnels de l’application de la loi impliqués n’ont pas saisi l’ampleur de la violence insensée qui se déroulait autour d’eux et n’ont pas prévenu le public du danger.
Il est clair qu’on ne considère pas que le personnel de soutien de la GRC a contribué à ces failles. La structure de commandement a souffert d’un stress massif et d’un manquement dans l’application de protocoles rigoureux.
Le rapport souligne en particulier que :
[Traduction]
La politique de la GRC exige qu’un commandant sur place soit désigné lors d’un incident critique nécessitant un déploiement rapide pour action immédiate, mais personne n’a été nommé pour remplir ce rôle. L’absence d’un commandant sur place qualifié a grandement nui à l’intervention de la GRC dans les événements de Portapique.
p. 47
Le rapport ne fait beaucoup de cas des répercussions des événements sur le personnel opérationnel de la GRC, qui était pourtant grandement impliqué dans de nombreux aspects du maintien de l’ordre, de la promotion de la sécurité publique et de l’application de la loi.
Cependant, la partie du rapport consacrée à la Station de transmissions opérationnelles de la GRC et aux sous-officiers qui ont contribué à l’intervention à distance est pertinente pour les membres du SESJ. Elle présente et étudie l’approche d’intervention de la GRC dans les premières heures de la tuerie.
La Commission est claire quant à la nécessité de créer d’importants partenariats avec des partenaires communautaires externes, des agences, etc., mais le rôle spécifique des fonctionnaires fédéraux ou des membres civils de la GRC n’a pas été examiné de manière exhaustive.
La Commission lance d’ailleurs un appel urgent pour une meilleure coordination des services policiers et les départements connexes qui agissent sous la supervision de différents paliers gouvernementaux (municipal, provincial et fédéral) :
[Traduction]
Nous devons investir dans un système de sécurité publique qui va au-delà des services de police, où de multiples partenaires travaillent ensemble chaque jour avec un engagement important de la communauté.
p. XIV
Nous devons repenser le rôle de la police dans un écosystème plus large de sécurité publique. Des changements importants sont nécessaires pour répondre aux divers besoins de la population en matière de sécurité et de bien-être au 21e siècle. La culture actuelle des services de police doit changer. Des améliorations s’imposent notamment par rapport aux questions concernant l’interopérabilité entre les services d’urgence et les autres partenaires de la sécurité des collectivités.
p. XIII‑XIV
Or, les répercussions psychologiques sur le personnel de soutien opérationnel de la GRC ne sont pas considérées ni examinées de manière approfondie dans le rapport.
Le SESJ note que les services psychologiques d’urgence offerts à d’autres groupes de personnes qui sont intervenues dans la tragédie n’ont pas été étendus aux personnes qui ont assuré des services techniques durant les événements.
L’accent a été mis sur l’information et le soutien aux familles des victimes, aux citoyens affectés et à la collectivité, ce qui ne nous pose aucun problème, car ces services étaient clairement nécessaires et importants; cependant, même au sein de la GRC, les fonctionnaires et les membres civils n’ont pas eu accès aux services de soutien qui étaient offerts aux agents de police.
3. Réponse sociétale plus large
Le rapport s’intéresse également au contexte sociétal de la violence fondée sur le genre qui s’est produite lors de la tragédie. Le volume 3 du rapport est donc un appel à l’action par rapport à la nature endémique de cette violence au Canada, qui est la cause première de la plupart des autres actes de violence, y compris les événements faisant de multiples victimes.
Lisa Banfield, la conjointe de fait de l’auteur des attentats avait été victime d’un comportement abusif de sa part pendant des années. La tuerie a commencé par une tentative de meurtre à son égard, à laquelle madame Banfield a heureusement survécu.
Le SESJ reconnaît l’étendue et la gravité de la violence fondée sur le genre, qui touche les partenaires intimes, les enfants, les familles et les organisations. Il est d’accord avec la recommandation selon laquelle il faut s’efforcer de mobiliser l’ensemble de la société, s’efforcer de manière concertée et à long terme de placer le vécu des femmes au centre des préoccupations, mettre la sécurité au premier plan et adopter de véritables mécanismes de responsabilisation.
Le rapport affirme que pour mettre la sécurité au premier plan, il faut « sortir les femmes et les filles de la pauvreté, décentrer le système de justice pénale, mettre l’accent sur la prévention primaire et favoriser une saine masculinité » [traduction].
Le SESJ commence à explorer certains de ces thèmes par le biais de divers forums, par exemple son Comité national de l’équité, de plus en plus actif, pour être en mesure d’apporter une contribution utile au changement sociétal et culturel au sein des organisations dans lesquelles nos membres travaillent.
Le volume 4 du rapport porte sur la « collectivité ». Il contient deux discussions très importantes sur l’efficacité du système En Alerte et du système d’alerte publique en général. Une autre partie concerne la nécessité de faire un effort beaucoup plus important pour bien saisir la notion de ruralité, un concept fondamental dans un pays comme le Canada qui s’étend sur la moitié d’un continent.
La ruralité et la violence fondée sur le genre sont souvent liées, comme le soulignent les différents rapports sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées. Le SESJ représente 18 000 fonctionnaires fédéraux dans le domaine de la sécurité publique d’un océan à l’autre, qui vivent et travaillent dans un large éventail de localités urbaines, rurales et éloignées. Nous sommes donc favorables à tous les efforts visant à améliorer les ressources des organismes dans les régions rurales et éloignées du Canada, notamment en matière de maintien de l’ordre et de prévention de la violence, et à un investissement majeur dans les familles et la prochaine génération.
Le terme « femmes » dans le présent texte s’entend dans son sens le plus large possible pour inclure toutes les personnes qui se définissent comme femme et qui sont victimes de violence basée sur le genre.
Conclusion
En conclusion, la Commission sur les pertes massives représente une analyse historique de l’une des plus importantes tragédies modernes du Canada. La complexité et la sophistication de ce rapport sont impressionnantes, mais le fait que de nombreux membres de l’USJE continuent d’être omis est tout à fait décevant.
Les employés de la fonction publique fédérale travaillant pour la GRC sont un élément crucial de la charpente opérationnelle d’un océan à l’autre et ont été profondément affectés par ce qui s’est passé à Portapique et dans les régions avoisinantes.
Leur rôle dans le soutien de tous les aspects des opérations de la GRC est très important et leurs expériences vécues en tant qu’employés de la GRC et résidents de la Nouvelle-Écosse et de la région de l’Atlantique doivent être mieux comprises alors que la GRC va de l’avant avec plusieurs des recommandations de ce rapport.
Voici 13 recommandations clés du rapport que le Toronto Star a soulignées :
https://www.thestar.com/news/canada/2023/03/30/here-are-13-key-recommendations-of-the-nova-scotia-mass-casualty-commission-report.html (en anglais seulement)
- Réaliser un examen externe et indépendant de la GRC, dont un examen du système de contrats que la GRC utilise pour fournir des services de police à de nombreuses localités rurales du Canada.
- Après cet examen, que le ministre fédéral de la Sécurité publique détermine les tâches qui conviennent à un service de police fédéral et celles qu’il serait préférable de confier à d’autres services.
- Fermer l’académie de formation de la GRC à Regina et créer un collège canadien de la police. La GRC devrait éliminer progressivement le modèle de la Division Dépôt d’ici 2032 et créer un programme de formation policière de trois ans pour tous les services de police du Canada.
- Dans un délai de six mois, examiner la formation en intervention en cas d’incident critique de la GRC.
- Réviser les politiques nationales de la GRC en matière de communications pour indiquer clairement que l’objectif est de fournir des renseignements exacts sur ses opérations, et en particulier de fournir aux médias des réponses rapides et complètes.
- Mieux définir la relation entre le ministre fédéral de la Sécurité publique et le commissaire de la GRC.
- Mettre en place un cadre national pour les systèmes d’alertes au public qui serait géré par Sécurité publique Canada et qui permettrait aux provinces de continuer à exploiter les systèmes, mais conformément à des normes nationales.
- Que le gouvernement fédéral établisse, d’ici septembre, un centre national de ressources pour les interventions en cas de pertes massives pour fournir des services aux victimes, renforcer les capacités d’intervention en cas de pertes massives et élaborer des normes pour les interventions auprès des victimes.
- Émettre une déclaration selon laquelle la violence fondée sur le genre est une « épidémie » nationale et qu’une approche de santé publique s’impose pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. Assurer un financement de base stable pour les groupes qui aident les survivantes et créer un poste de commissaire national pour la violence fondée sur le genre.
- Modifier la Loi sur les armes à feu afin d’exiger un permis pour détenir des munitions et de limiter la possession de munitions pour les armes pour lesquelles un permis a été délivré.
- Imposer des limites fédérales sur le stockage des munitions.
- Que le gouvernement fédéral agisse rapidement pour réduire le nombre d’armes à feu semi‑automatiques interdites en circulation au Canada.
- Que les gouvernements du Canada et de la Nouvelle-Écosse créent, d’ici le 31 mai, un organisme chargé de veiller à la mise en œuvre des recommandations de la Commission.