Article d’opinion : David Neufeld et Rosemary Ricciardelli
Plus tôt aujourd’hui, la chercheuse Rosemary Ricciardelli et moi-même avons eu l’occasion de révéler les principales conclusions de la toute première étude canadienne sur les traumatismes liés au stress professionnel chez les adjoint-e-s aux services de détachement (ASD) de la GRC.
Ces femmes (et de plus en plus d’hommes) ont toujours été les piliers de presque tous les détachements de la GRC au pays, servant de premier point de contact avec le public, orientant d’innombrables nouveaux agents, nouvelles agentes et agent-e-s permanent-e-s de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et fournissant un soutien opérationnel essentiel aux interventions d’urgence, à la vérification de casiers judiciaires, aux enquêtes et à la gestion des bases de données de la GRC. Il faut toute une équipe pour assurer la sécurité publique, et ces ASD sont au service du public canadien jour après jour.
L’étude qualitative dirigée par l’éminente professeure Rosemary Ricciardelli et ses collègues a révélé que les ASD sont très sollicité-e-s, mais se sentent souvent invisibles, mal soutenu-e-s et inadéquatement formé-e-s pour effectuer le travail essentiel sans lequel aucun détachement de la GRC au pays ne pourrait fonctionner.
Cette situation n’est pas exclusive au milieu policier : les autres premier-ère-s répondant-e-s dépendent aussi d’équipes souvent invisibles qui se mobilisent dans les coulisses.
Certes, il y a eu des recours collectifs qui ont tenté de faire la lumière sur la douleur et la souffrance que les femmes, en particulier, subissent dans leurs fonctions d’agente, d’employée civile de la GRC, de fonctionnaire, de bénévole et même d’étudiante, mais ces recours n’ont pas toujours dressé un portrait fidèle des expériences complexes des ASD.
Ces employé-e-s ne sont pas des premier-ère-s répondant-e-s, mais ont une influence déterminante sur les activités quotidiennes de la GRC dans les collectivités. En effet, les agent-e-s en uniforme comptent énormément sur les ASD pour le déroulement efficace des activités des détachements.
Les ASD interagissent avec des membres du public qui sont en grande détresse, transcrivent souvent les déclarations de victimes et de témoins et voient des images très crues d’incidents violents. Dans les petites collectivités, il n’est pas rare que les ASD connaissent les victimes ou leur famille, les situations devenant alors assez personnelles.
Pourtant, le rôle essentiel des ASD au sein de l’organisation est souvent ignoré par les agent-e-s en uniforme, leur accès à du soutien en santé mentale n’est pas constant et les possibilités de formation sont presque inexistantes.
Au fond, le fait d’améliorer l’expérience de cette main-d’œuvre principalement féminine revient à démanteler les hiérarchies dans une organisation paramilitaire qui dresse les employé-e-s les un-e-s contre les autres en fonction de l’uniforme, du genre, de la race, de l’orientation sexuelle et des rôles professionnels. À la longue, cette opposition crée des conditions propices aux mauvais traitements, à la dysfonction et à l’exacerbation des traumatismes liés au stress professionnel, y compris l’ESPT.
La recherche de l’équipe du professeur Ricciardelli conclut que dans le climat actuel, sans mesures concrètes pour assurer une formation cohérente et complète des ASD, y compris pour des fonctions aussi fondamentales que la mise à jour des bases de données criminelles et la vérification de casiers judiciaires, et sans ressources pour répondre aux traumatismes directs et indirects, les ASD risquent de subir des traumatismes liés au stress professionnel au même titre que les membres en uniforme.
Exemple éloquent : lorsqu’il y a une séance de gestion du stress à la suite d’un incident critique après une fusillade, une agression, une catastrophe naturelle, un accident de la route ou une autre situation d’urgence, cette séance exclut souvent les ASD, qui sont pourtant les gardien-ne-s du bon déroulement des activités du détachement.
Les ASD, qui sont non armé-e-s, sont également les plus susceptibles d’interagir avec le public dans ces détachements, mais ne travaillent pas toujours derrière la protection d’une vitre. Il s’agit d’un besoin urgent. Ces mesures à elles seules permettront d’améliorer le moral des ASD. Des normes nationales de formation pour la GRC, dans ce monde en évolution rapide, permettront aussi de mieux outiller ce personnel de première ligne.
Heureusement, la commissaire Brenda Lucki, même si elle a eu son lot de difficultés, est le visage d’un nouveau leadership tenace. Elle tente d’opérer un virage positif pour une organisation vieille de 150 ans, malgré le bagage colossal de celle-ci.
Le mieux-être de l’ensemble des employé-e-s de la GR—en uniforme ou non—est de toute évidence un enjeu crucial. Pourquoi? Parce qu’une GRC équipée pour l’avenir en est une qui sait que le tout est plus grand que la somme de ses parties. Sinon, la force nationale de police du Canada continuera d’être assaillie par le stress professionnel, les conflits et la controverse. À titre de première femme commissaire indéterminée de la GRC, Mme Lucki est bien placée pour opérer de véritables changements. Elle a d’ailleurs rencontré des ASD pour mieux comprendre leurs préoccupations et s’engager à passer à l’action. Elle comprend de mieux en mieux l’organisation à tous les échelons. Il est maintenant temps de s’assurer que les investissements dans cette transformation permettront à tous-tes les employé-e-s de s’épanouir.