Publié dans l’Ottawa Citizen d’aujourd’hui :
La sécurité publique est clairement une grande préoccupation au Canada. Et pour de bonnes raisons, étant donné les récents événements qui se sont produits ici et à l’étranger. Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement fédéral songe à introduire la possibilité de maintenir certains des délinquants les plus dangereux du Canada en prison – pour toujours. Ayant travaillé pendant de nombreuses années dans des établissements correctionnels fédéraux, je peux comprendre le sentiment.
Les délinquants qui ont été accusés de crimes graves n’attirent pas beaucoup de sympathie – peu importe les difficultés qu’ils ont vécu dans leur passé. J’ai travaillé pendant longtemps comme agent dans un établissement à sécurité maximale où j’ai été en contact direct avec des délinquants – des condamnés à vie – qui purgeaient des peines de 25 ans, et parfois moins. Même après avoir commis des crimes haineux, ces personnes sont parfaitement conscientes qu’à cause de leurs actions, en plus de priver leurs victimes d’un avenir, elles se sont elles-mêmes condamnées au même sort.
Malgré la gravité de leurs crimes, le Canada a toujours réussi à maintenir un très faible taux de récidive dans cette cohorte de délinquants. Dans la plupart des cas, lorsque les condamnés à vie sont admissibles à une libération conditionnelle, ils sont souvent dans la cinquantaine ou la soixantaine. D’après mon expérience, ceux qui sont considérés aptes à vivre à l’extérieur de la prison sont beaucoup plus préoccupés par leur adaptation à un monde qui a évolué rapidement sans eux qu’à commettre un nouveau crime. Ils sont véritablement motivés par la perspective de vivre quelques années à l’extérieur du «pen», et de faire des choses aussi simples que préparer un repas, se promener et reprendre contact avec les membres de leur famille qui sont encore en vie.
Enlevez-leur cet espoir et les risques de suicide et de violence contre le personnel et les autres détenus commencent à augmenter. Sans l’espoir d’une libération conditionnelle, ils n’ont littéralement plus rien à perdre. Et la perspective d’incarcérer des délinquants plus frêles et plus âgés qui ne posent pratiquement aucun risque pour la société – après des décennies en prison –peut détourner des ressources destinées à ceux qui bénéficient présentement de programmes de réadaptation.
Bien entendu, les délinquants qui ne présentent aucune capacité ou volonté à se réadapter n’échappent jamais à la poigne solide de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui peut refuser une libération conditionnelle ou fixer des conditions très strictes avant de libérer un délinquant. La violation de ces conditions entraîne une réincarcération dans les plus brefs délais.
Peu de gens savent qu’il y a environ 8 800 délinquants sous la supervision de Service correctionnel Canada dans des communautés de tout le pays. En outre, environ 13 000 personnes sont présentent incarcérées. La grande majorité de cette population carcérale sera remise en liberté dans la communauté, même si la loi devait changer.
Sans le travail du personnel de Service correctionnel Canada (SCC), y compris les milliers d’agent-e-s de libération conditionnelle, d’agent-e-s de programme, d’enseignant-e-s en établissement et tout le personnel correctionnel qui s’occupent de faciliter la transition des délinquants dans la communauté, les Canadiennes et les Canadiens seraient beaucoup moins en sécurité. Malheureusement, le Plan d’action pour la réduction du déficit du gouvernement fédéral adopté il y a deux ans a heurté SCC de plein fouet et plusieurs employé-e-s signalent avoir dû faire leur travail avec beaucoup moins de ressources, malgré la gravité des enjeux. Les coûts sont réduits à presque tous les niveaux. Cela inclut une augmentation du nombre de délinquants que doit superviser chaque agent-e de libération conditionnelle dans les établissements correctionnels et dans la communauté.
Quel que soit le sort de la loi proposée, à mon avis, elle ne résultera pas à une sécurité accrue pour notre population. Ce travail demeure l’apanage de celles et ceux qui travaillent jour après jour avec les délinquants. Il est crucial d’investir dans les agences qui sont aux premières lignes de ce travail. Il est temps que la population du Canada comprenne mieux la nature de ce travail et son rôle incontournable pour la sécurité de toutes et tous.
Stan Stapleton a été agent correctionnel et agent de programme pendant plus de 30 ans. Il est aujourd’hui président du Syndicat des employé-e-s du Solliciteur général (SESG) qui représente notamment 7 000 membres du personnel de Service correctionnel Canada.