Table ronde des membres Autochtones du SESJ

Le mercredi 20 septembre, le Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice (SESJ) a tenu une table ronde composée de quelques membres du SESJ qui sont des employé-e-s d’origine autochtone et qui travaillent au sein du système correctionnel fédéral. L’idée de cette table ronde est née d’une conversation survenue au printemps dernier entre le président national, David Neufeld, et des membres autochtones travaillant au Service correctionnel du Canada (SCC) dans la région de Kingston. Cette table ronde faisait suite à un rassemblement similaire, mais plus important, d’employé-e-s autochtones travaillant dans le système correctionnel fédéral, qui avait été organisé par le SESJ en 2018. Après 2018, le SCC a créé un plan d’action axé sur les Autochtones, dont une grande partie reflétait les réflexions et les points de vue partagés pendant la table ronde.

La VPR Shauna Ward, elle-même Autochtone et possédant une vaste expérience en tant qu’employée du système correctionnel fédéral, et qui occupe maintenant le poste de vice-présidente régionale de la Saskatchewan (SCC), a coprésidé la table ronde aux côtés du président national, David Neufeld. David et Shauna ont remercié la sous-commissaire des services correctionnels pour Autochtones, récemment nommée, d’avoir participé à l’intégralité de la table ronde, et ont exprimé leur souhait d’entretenir une relation étroite de travail et de collaboration. Mme Neil a indiqué qu’elle était impatiente d’en apprendre davantage de la part du personnel de première ligne et qu’elle espère qu’il y aura d’autres dialogues de ce type à l’avenir.

Pam Damoff, députée (Oakville North-Burlington) et ancienne secrétaire parlementaire du ministre de la Sécurité publique, a pris le temps d’assister à la première partie de la table ronde. Anne Kelly, Commissaire de Service correctionnel Canada, a pu se joindre aux discussions à mi-chemin.

Tina Vincent, gardienne du Savoir Anishnaabe, accueille les invités et explique les règles du cercle. Shauna initie les présentations dans le cercle.

La table ronde a surtout porté sur les conditions actuelles au sein du système correctionnel fédéral qui empêchent ou compromettent la capacité des employé-e-s autochtones à être efficaces dans leur travail auprès des délinquants autochtones et qui limitent leurs propres possibilités en matière d’avancement professionnel et en gestion.

EMBAUCHE ET RÉTENTION D’EMPLOYÉ-E-S AUTOCHTONES

Un des principaux problèmes soulevés par les participants est qu’il n’y a pas assez d’employé-e-s autochtones pouvant répondre à la diversité des délinquants autochtones issus de milieux culturels variés. De plus, il arrive que des personnes ayant une connaissance très limitée des pratiques culturelles autochtones et/ou des relations avec les communautés autochtones soient embauchées par le SCC pour jouer des rôles clés au sein des programmes autochtones et auprès des délinquants autochtones. Cette situation n’est ni appropriée ni acceptable.

Un membre a fait remarquer qu’il est difficile de promouvoir les points de vue autochtones quand on n’est pas soi-même autochtone. Le recrutement, la rétention et le perfectionnement du personnel autochtone constituent un défi majeur. Le SCC avait l’habitude d’aller directement dans les communautés pour recruter. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et les non-autochtones continuent de décider qui est Autochtone et qui ne l’est pas. Les expériences vécues devraient également faire partie du processus de recrutement.

Un autre membre a parlé de la grande dépendance du SCC à l’égard des Aîné-e-s, en particulier dans les programmes des Sentiers autochtones, mais de la difficulté de recruter et de maintenir en poste des Aîné-e-s ayant les compétences culturelles appropriées pour servir les délinquants, notamment les Inuits.

Il y a aussi la réalité que certains employés du Service correctionnel, dont les agents correctionnels, ne comprennent pas toujours le rôle délicat que jouent les Aîné-e-s dans la réadaptation des délinquants sous responsabilité fédérale, ce qui peut conduire à un manque de respect envers les Aîné-e-s eux-mêmes. Lorsque cela se produit, les Aîné-e-s ne sont pas toujours enclins à poursuivre leur relation de travail avec le Service correctionnel, ce qui constitue une grande perte pour les délinquants autochtones qui cherchent à guérir, à renouer avec leur culture et à se préparer à réintégrer la communauté.

Le SESJ a également appris qu’il n’y a souvent pas d’Aîné pour les délinquants autochtones qui se trouvent dans la population générale des pénitenciers fédéraux, ce qui est fort regrettable. Cela signifie qu’il n’y a pas de réelle possibilité pour les délinquants autochtones d’avoir un lien significatif avec leur héritage culturel et des voies de guérison. Dans un établissement, il n’y a pas eu d’Aîné pendant de nombreuses années, ce qui est très difficile pour les délinquants qui portent beaucoup de traumatismes et qui participent à des programmes exigeants. Le fait qu’il n’y ait pas d’Aîné pour apporter un soutien spirituel après des séances intenses n’est pas approprié et constitue une profonde injustice pour les délinquants qui cherchent réellement à guérir. Une telle situation est à proscrire.

En outre, de nombreux employé-e-s autochtones subissent les mêmes expériences traumatisantes que les délinquant-e-s, en termes de violence familiale, d’éloignement de la terre et de la culture, d’héritage tragique des pensionnats et de perte d’êtres chers, entre autres choses. Cependant, de nombreux directeurs ne font preuve d’aucune empathie à l’égard de ces employé-e-s et n’ont que peu ou pas d’intérêt à les accueillir. Cette approche colonialiste rend un bien mauvais service aux employé-e-s autochtones travaillant au Service correctionnel fédéral, qui sont engagés dans la réadaptation des délinquants, mais qui ont eux-mêmes besoin d’un soutien tangible.

Les participants ont également insisté à maintes reprises sur la nécessité de veiller à ce que le personnel autochtone participe activement au recrutement des Aîné-e-s et de mieux définir la notion d’Aîné-e ou de travailleur culturel. Les adaptations culturelles posent également de réels problèmes, notamment l’impossibilité de pratiquer la fumigation dans les établissements, une pratique culturelle cruciale pour laquelle il faut plus de souplesse.

CHARGE DE TRAVAIL

La charge de travail a aussi occupé une place prépondérante dans le débat. Compte tenu de l’importance de la réadaptation que les employé-e-s des services correctionnels fédéraux entreprennent, le fait d’assumer de lourdes charges de travail auprès de délinquants autochtones ayant des antécédents sociaux complexes, des traumatismes et de faibles capacités d’adaptation, compromet l’efficacité des employé-e-s des services correctionnels.

Dans bien des cas, il n’y a pas assez d’agent-e-s de libération conditionnelle et la charge de travail s’alourdit lorsqu’un seul employé prend des congés annuels bien mérités, nécessaires à l’équilibre travail-vie personnelle et à la santé mentale des employé-e-s. Dans certains établissements, la charge de travail est hors de contrôle dans beaucoup de régions et, avec la politique actuelle qui ne prévoit pas de remplacer les employé-e-s qui prennent des congés annuels ou de courte durée, les employé-e-s autochtones se retrouvent à porter un fardeau encore plus lourd. Cette situation n’est ni juste ni viable.

Enfin, le programme des Sentiers autochtones exige des mises à jour tous les six mois pour les délinquants qui y participent, comparativement à deux ans pour la population générale. Or, le temps manque pour établir des liens avec les délinquants car il faut aussi gérer d’énormes charges de travail. S’il n’y a pas d’Aîné attitré, ou s’il n’y en a pas de disponible, il est plus difficile d’évaluer certains progrès accomplis par les délinquants. La pénurie ou l’absence d’Aîné signifie qu’une partie de la responsabilité revient entièrement aux agent-e-s de libération conditionnelle qui comptent sur l’expertise et la sagesse des Aînés pour les épauler dans leurs évaluations.

Par ailleurs, les rapports établis dans le cadre des programmes autochtones sont souvent plus longs de 30 à 40 %, mais ils sont soumis aux mêmes lignes directrices et aux mêmes délais que les rapports qui ne concernent pas les Autochtones.

Dans bien des cas, les délinquants autochtones choisissent des programmes non destinés aux Autochtones parce qu’ils peuvent en sortir plus rapidement. Les Aînés sont heureux de pouvoir travailler auprès d’hommes autochtones et de leur dispenser des enseignements, mais il en faut davantage. La lenteur des processus d’embauche se traduit par la perte d’un grand nombre de ressources.

SOUTIEN GÉNÉRAL DU SCC ENVERS LE PERSONNEL ET LES PROGRAMMES AUTOCHTONES

Le Service correctionnel dispose d’un budget limité, voire inexistant, pour certaines cérémonies culturelles (à l’occasion, il est possible de procéder à des huttes de sudation, mais il n’y a pas de repas après). Cela manque de vision et compromet en partie l’efficacité du travail de guérison que les délinquants autochtones poursuivent courageusement.

De plus, beaucoup d’employé-e-s non-autochtones ne comprennent pas le rôle que joue le personnel autochtone, ce qui crée un environnement où règne un manque de respect ou de considération pour le travail de transformation que le personnel autochtone tente d’accomplir auprès des délinquants sous responsabilité fédérale, dont certains ont des compétences de vie très limitées et sont à la fois victimes et auteurs de violence avant leur arrivée dans un établissement fédéral.

Même au niveau de la haute direction, il faut que les cadres supérieurs et les dirigeants du SCC participent à certaines des formations actuellement proposées afin d’être mieux sensibilisés aux réalités culturelles et de pouvoir offrir davantage de soutien. Le manque de sensibilisation pourrait faire perdre de nombreuses occasions de s’améliorer et compliquer les relations entre le personnel autochtone et le personnel non autochtone du SCC.

Faute d’une telle compréhension, cela crée des conditions propices à la discrimination et au racisme systémique à l’égard des délinquants et du personnel. Lorsqu’il faut un an pour embaucher un seul agent de programmes communautaires autochtone, c’est signe que quelque chose ne va pas. Quand le personnel interne compétent doit postuler à des concours externes, il y a un problème. Le fossé entre l’administration centrale et les établissements semble très profond.

Certains participants ont demandé à bénéficier de formations mensuelles régulières, de meilleurs programmes autochtones pour le personnel et les délinquants, de dîners conférences et de davantage de ressources en général pour le personnel autochtone et les programmes autochtones.