publié dans le Hill Times le 16 janvier 2023
par David Neufeld, président national, SESJ
Mona Fortier, présidente du Conseil du Trésor, continue de s’attirer les foudres des fonctionnaires et des leaders syndicaux, qui dénoncent le manque de consultations entourant le nouveau décret sur le retour au présentiel d’ici mars 2023.
Trahissant les récentes promesses d’une certaine souplesse en matière de télétravail, la nouvelle directive exige sans détournements que les employé-e-s du fédéral travaillent sur place au moins 40 à 60 % du temps, tous postes, rôles, ministères et lieux de travail confondus. Cette directive a été créée sans que les parties intéressées soient suffisamment consultées, mais le plus grave, c’est qu’elle va à l’encontre de tout ce que nous avons appris sur la productivité au travail pendant la pandémie.
Après presque trois ans de télétravail pour des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux, on peut se demander pourquoi l’un des principaux employeurs du Canada n’a tiré aucune leçon sur le rendement du personnel pendant cette grande crise mondiale.
Pourtant, il suffit de consulter le site Web de Statistique Canada pour trouver les recherches effectuées par ce même gouvernement. Hélas! Il semblerait qu’on n’ait pas cru bon de tenir compte de ces conclusions sur la productivité des employé-e-s dans l’élaboration d’une directive qui orientera l’avenir d’une fonction publique fédérale manquant cruellement d’innovation et de leadership.
Ce que la pandémie nous a appris fondamentalement — et ce qu’ont démontré les recherches — c’est que certain-e-s des employé-e-s ayant la meilleure productivité au pays ont atteint ces seuils pendant la pandémie, et les maintiennent toujours.
Un grand nombre (48 %) des employé-e-s des secteurs public et privé ont travaillé plus dur et fait de plus longues heures qu’avant la pandémie, et ce dans un contexte de télétravail à presque 100 %. Et ces employé-e-s qui avaient déjà une excellente productivité!
Fait notable : même les employé-e-s les moins productifs ont tendance à travailler de plus longues heures en dehors du lieu de travail. La leçon à retenir? Le travail à distance a eu une influence généralement positive sur la capacité des personnes assez et très performantes à faire leur travail, déboulonnant le mythe d’une productivité qui ne serait possible qu’au bureau.
Quelques jours après l’annonce de la ministre au mois de décembre, Shopify, une société internationale de premier plan, a annulé ses projets d’occupation d’un immeuble de près de 100 000 m2 dans un ensemble commercial très en vue de Toronto, malgré avoir signé un bail qui se terminera en 2027. Un cadre de Shopify a souligné que l’entreprise ne souscrit plus au modèle d’une main-d’œuvre qui se cristallise autour d’un lieu de travail physique au quotidien.
Évidemment, on ne peut faire de comparaison parfaite entre la fonction publique fédérale et le secteur privé, mais certains principes de productivité au travail sont universels, peu importe le patron ou les résultats visés. Et c’est là que le bât blesse.
La nouvelle directive du Conseil du Trésor insiste sur un minimum de 40 à 60 % de travail sur place, peu importe les prouesses technologiques, la création d’équipes virtuelles et le bon équilibre de contacts directs dans certaines fonctions liées à l’exploitation ou aux relations externes dont font preuve les employé-e-s.
La ministre Fortier répète que la nouvelle politique implante de manière officielle les formules de travail hybride dans la fonction publique fédérale, mais c’est loin d’être le cas.
Ce que le Conseil ne révèle pas, c’est que les organismes publics et les ministères se livraient déjà une concurrence interne féroce pour les employé-e-s, et que cette nouvelle politique vise à « égaliser les chances ». Ainsi, les ministères et les organismes qui continuaient à offrir une grande souplesse en matière de télétravail, compte tenu du succès de cette formule, ne peuvent plus se servir de cet atout pour pourvoir leurs postes de fonctionnaire.
Certes, un ou deux jours de télétravail par semaine seront tolérés, mais ce ne sera plus la norme, et il faudra s’en remettre en grande partie à la sagesse et à la bonne gestion de chaque administration.
Il est malheureux que le gouvernement du Canada n’ait pas eu le courage, comme Shopify, de créer une nouvelle norme de travail pour sa propre fonction publique, optant plutôt pour une approche rigide qui plaira peut-être sur le plan politique, mais qui vient gifler de plein fouet les milliers d’employé-e-s du fédéral qui se sont tant dévoués dans les dernières années.
En outre, cette nouvelle directive fait fi des plus grandes réussites connues pendant la pandémie, comme l’optimisation du rendement de fonctionnaires très motivés qui ont toujours répondu à l’appel depuis mars 2020.
De toute façon, il faudra tôt ou tard revoir la politique du Conseil du Trésor, car les problèmes de recrutement et de maintien de l’effectif s’intensifient. Reste à savoir combien des fonctionnaires fédéraux les plus productifs du Canada auront quitté leur poste d’ici là.